Amor, une production à l’arrache....

Publié le 04/05/2017


Amor de Raphaël Rebibo, un film à l’arrache

 

Quatre long-métrage en tant que Auteur Réalisateur Producteur, Raphael Rebibo est un réalisateur franco-israélien qui dès son premier film impose un cinéma qui questionne le spectateur et qui de ce fait aura toujours peiné à réunir les moyens financiers pour accomplir les projets de ses beaux scénarios.

 

Nous avons pu le rencontrer chez lui à Paris dans les locaux de la société Magora Production qu’il codirige avec Martine Fitoussi. Leur société a coproduit avec Transfax film, Marek Rosenbaum, en Israël son 4ième film Amor en 2016.

 

Une production à l’arrache, elle aussi car à 3 points près ce film ne peut encore bénéficier de l’agrément au CNC ; ce qui a pour conséquence de retarder un engagement de distributeur et une exploitation France.

 

Des scénarios qui confrontent personnages comme spectateurs à des dilemmes !

Dès son premier film tourné en Suisse, (où il a habité et travaillé pendant de longues années comme photographe de plateau, producteur exécutif) La Bulle/ L’Arrestation 1975, Raphael Rebibo nous entraine dans un univers kafkaïen où son héros (Bernard le Coq) subit un arbitraire abscons : un jeune écrivain voit son premier manuscrit accepté par un éditeur. Au moment où il annonce la nouvelle à sa fiancée (Catherine Lachens), trois individus de la Police Secrète viennent l'arrêter...film qui a reçu une critique en Israël et aux Etats-Unis une critique dithyrambique.

 

En Israël en 1984 il tourne Edut Me'Ones (Forced Witness) où le scénario expose un cas de conscience cette fois-ci très réaliste : Ronit (Anat Atzmon), divorcée avec un enfant, est témoin du viol de sa voisine. C'est le seul témoignage que la police possède pour envoyer le violeur devant le tribunal. Gaby (Uri Gavriel) le frère du violeur, un homme bien sous tous rapports, vient faire pression pour  qu’elle renonce à son témoignage.

 

Dans Makom L'yad Hayam (A Place by the Sea) en 1989 pour son deuxième film en Israël, il aborde une simple et belle histoire d’amour – avec 53 000 entrées en première semaine, ce film est considéré comme le premier film culte contemporain du pays - mais une histoire d’amour où les protagonistes voient leurs passés respectifs revenir en boomerang : lui Gaby (Alon Aboutboul)  à peine sortie de prison pour un crime qu'il n'a pas commis se trouve traqué par un requin du milieu. Elle, Perla (Anat Zahor) est menacée dans sa vie par son ex-proxénète qui essaie de la récupérer.

 

Et c’est au tournant des années 2010 soit 20 ans plus tard que Raphael Rebibo écrit le scénario d’Amor, avec toujours ce même aiguillon : qu’aurais-je fait, que feriez- vous face à une telle situation ?

Depuis trois ans Lila une jeune femme est clouée au lit. Dans sa situation elle n’attend plus rien de la vie. Sa mère veut la sortir de la chambre d’hôpital où elle s’est recluse. Son père ne peut lui proposer que d’accepter le sort que le Tout Puissant lui inflige. Daniel, l’homme de sa vie revient dans cette petite ville perdue. Son frère ainé est inquiet  par ce retour et plus encore par sa présence mutique. Lorsque Daniel rejoindra Lila, que va-t-il s’échanger dans le silence de leurs fors intérieurs ?

 

Un film vibrant des émotions chaleureuses et douloureuses qui nous traversent tous au long de nos vies. Pas de pathos ni de psychologie explicative des comportements des personnages, pas de conflit israélo-palestinien. Un scénario qui pose avec pudeur le questionnement sur le libre arbitre, celui de chacun.

 

Amor une production à l’arrache pour ce film arrache cœur

 

Amor est un film produit à la force du désir et sans presqu’aucun soutien dès sa mise en production. C’est tout au long de sa préparation d’avant tournage, sur place, en 6 semaines qu’il a fallu jouer les équilibristes sans filet, 17 jours de tournage en tout et pour tout en mars pour éviter les fortes chaleurs des mois suivants. Un budget tellement serré que tout se devait d’être négocié et pensé avec rigueur, flexibilité et audace et cela concerne  tous les postes : les acteurs, l’équipe technique et les décors.

 

C’est alors que se sont conjugués la petite notoriété de Raphaël Rebibo acquise pour ses films précédents tournés en Israël et l’impact du scénario sur les comédiens pressentis comme sur les propriétaires des lieux de tournages primordiaux du film. Un tournage tient parfois du miracle.

 

Mais laissons le réalisateur nous conter quelques anecdotes de cette production à l’arrache :

 

DB : Vous n’aviez pas tourné de long-métrage depuis plus de 20 ans, est-ce que vous avez abordé le tournage avec des doutes ?

 

Raphaël Rebibo :

Je n’ai pas eu le temps de douter. J’étais impatient mais je ne voyais plus rien. Tourner en Israël, c’est de nos jours comme construire un bateau au milieu du désert. Une fois que j’ai pu réunir une équipe et des comédiens, j’ai lancé la chose et je n’ai plus pensé ! Et cela jusqu’à la fin du tournage, voir même à la fin du montage. J’ai fait ça en très peu de temps avec très peu de moyen.

 

Mon scénario n’est pas issu d’un fait divers mais d’une question celle du film que je me suis posé à moi-même. Quand je l’ai eu terminé, je demandais à ceux à qui je le faisais lire «Si toi tu étais dans cette situation que ferais tu?»

 

Et cette question qui est vraiment à la base de ce film m’a beaucoup aidé pendant la production du film. En effet nous devions tourner pendant 5 jours entiers dans un hôpital. Ça coutait beaucoup trop par rapport à notre réalité de producteur. Nous n’avions prévu que des clopinettes. Alors j’ai proposé à la responsable de l’hôpital qu’elle lise le scénario avant que je lui fasse une contre-proposition. Elle a lu le scénario et a décidé de nous laisser le lieu sans argent. Vous voyez le sujet et son questionnement lui semblait une cause à soutenir comme une sorte d’engagement citoyen personnel !

 

Les comédiens ont eux aussi cru à la force de ce scénario, c’est eux pour la plupart qui ont convaincu leurs agents d’accepter les conditions minimales de leurs salaires pour avoir le rôle. D’ailleurs concernant le choix des acteurs j’ai dû pratiquer de façon différente des réalisateurs du pays. En Israël, le moment du casting perdure une année, les réalisateurs font pour ainsi dire passer des castings à tout le monde. Moi je n’agis pas de la sorte à la fois faute de temps mais aussi par choix personnel. Je vais voir ce que les acteurs font au théâtre ou je visionne les films où ils apparaissent. Je fais lire le scénario et je ressens si la personne accroche sans faux semblant.

 

Pour Amor l’actrice qui tient le rôle principal, Or Ilan, celui de Lila, était au prestigieux théâtre national « Habima » de Tel Aviv depuis cinq ans. C’est sa première expérience devant l’objectif d’une caméra. J’avais fait le tour d’autres actrices qui avaient une notoriété. Mais elle, elle s’est pour ainsi dire accrochée à moi ou moi à elle plus exactement : j’ai vu un signe dans la façon dont elle a lu le scénario, la façon dont elle l’a reçu. Je pouvais oser la mettre devant la caméra et je n’ai pas eu à m’en plaindre !

 

DB : Pour l’équipe technique en particulier le directeur de la photo, quelle fut votre démarche ?

 

RR : Comme ce film s’est fait sans argent j’ai dû essuyer le refus fort compréhensible du directeur de la photo le plus coté de nos jours en Israël. Il m’a dit « désolé je ne peux pas ! » Donc je n’avais pas le luxe de vraiment pouvoir choisir. J’ai cherché quelqu’un avec un certain bagage, une certaine expérience et capable d’accepter ma réalité de production. Donc mon choix fut un choix mêlant mon instinct et mon expérience.

 

En Israël même après vingt-ans, j’ai encore un petit nom. On se souvient de l’Arrestation (La Bulle). Pour Amor cela a été d’importance puisque les syndicats agissent à la façon américaine : un comédien  ou un technicien ne peut travailler en dessous du minimum syndical. Mais j’ai pu et je ne peux que les remercier, sur ma notoriété antérieure obtenir une dérogation pour travailler à 50% du tarif minimum syndical.

 

Un village aux habitants généreux !

 

RR. A part les 5 jours d’hôpital, j’ai pu tourner dans un même village toutes les autres scènes du film. Là encore les économies (déplacements chronophages en argent comme en temps) étaient au rendez-vous.

 

Dans ce village se trouvait un restaurant huppé servant un Brunch-Buffet à volonté de haute gastronomie végétarienne. La lecture du scénario a aussi agi sur la propriétaire ; très émue, elle nous a ouvert son cœur, sa maison et les portes dans le village jusqu’à nous offrir, je dis bien nous offrir chaque jour, à toute l’équipe le petit déjeuner à 4 heures du matin à la lisière de l’aube dans ce décorum magnifique. Pour l’équipe technique c’était comme si une production d’Hollywood leur offrait ce Luxe !

 

Car l’intendance du manger et du boire est d’importance lors des tournages en Israël. Je me rappelle de Jean Boffety qui signa la photo de Makom L'yad Hayam, Il n’avait pu que s’étonner de voir l’équipe manger et boire entre chaque plan. Et il avait raison, Là-bas on ne peut que faire avec ! Dès qu’on dit « cut » sur le plateau, tous vont se diriger vers le buffet qui se doit d’être toujours dressé et approvisionné. Et bien sûr il faut ramener comédiens et techniciens du buffet vers le plateau pour le prochain plan.

 

Sur le tournage d’Amor, c’est Martine Fitoussi qui avec le peu d’hébreu qu’elle connait, arrivait à obtenir le silence (Sheket !), et à les faire revenir sur le plateau. Les israéliens ne connaissent pas la discipline. En France l’équipe à le respect du plateau et la rigueur du Action, en Israël pas vraiment, la non-hiérarchie, l’égalitarisme des kibboutz originel a laissé des traces, rappelons que Ben Gourion servait le soir à table dans la salle à manger les autres membres du kibboutz après sa journée de Premier Ministre terminée au Parlement !

 

 

 

Propos recueillis par Dominique Bloch